Le Vorarlberg se singularise par un foisonnement d’architectures écologiques toutes typologies confondues, et relève le défi d’allier excellence écologique, développement économique et un art de vivre et d’être bien.
Poursuivons nos rencontres avec des acteurs engagés dans la transformation écologique et citoyenne : concepteurs, élus, artisans, entrepreneurs, agriculteurs, passionnés profondément humanistes.
Josef Mathis, maire de Zwischenwassen de 1980 à 2013, nous a accueillis avec générosité pour nous raconter 40 années de retours d’expériences dans sa commune, qui s’est illustrée sur les sujets du développement durable, de l’énergie et de la Baukultur(« culture du bâti » qui intègre aussi la dimension des relations sociales). Nous avons été reçus dans la Mairie Passivhaus (rénovation en 2015) à Müntlix, réalisée par l’agence Hein Architekten. Outre la réduction d’environ 75% des besoins en énergie de chauffage, une attention particulière a été accordée à l’utilisation de matériaux écologiques et peu polluants, et à créer des espaces présentant une grande flexibilité d’utilisation. Le projet a été certifié selon le certificat des bâtiments communaux du Vorarlberg et a obtenu 980 points sur 1000, la meilleure évaluation à ce jour. Puis nous avons visité le jardin d’enfants, conçu par le même architecte, et construit en bois selon les normes des maisons passives (avec du bois de la forêt communale) ; les sols ont été réalisés en terre battue de 9 cm d’épaisseur (avec une partie des matériaux d’excavation existants).
Extrait d’un entretien avec Josef Mathis de Dominique Gauzin-Müller publié dans « L’architecture écologique du Vorarlberg », Éditions du Moniteur 2009, p. 344
dominique gauzin-müller : Même dans les plus petits villages du Vorarlberg, l’architecture a une qualité qui fait l’admiration des professionnels du monde entier. Quel est le rôle du maire ?
Josef Mathis : Nos lois prévoient que le maire décide seul de l’autorisation de construire un bâtiment. Il influence donc, consciemment ou inconsciemment, le développement de l’architecture. La commune de Zwischenwasser a déjà institué en 1992 un Conseil en architecture et en développement communal, qui accompagne la prise de décisions politiques. Ce conseil est constitué de deux architectes, du maire et des membres de la commission municipale de la construction. Un système de rotation prévoit le remplacement d’un des architectes tous les trois à quatre ans. Chaque demande de permis de construire est discutée ouvertement, sur le site, avec le maître d’ouvrage et l’architecte. La commune considère cette activité comme une mission de conseil proposée au maître d’ouvrage. Les architectes sont payés d’après le GOA, le standard national d’honoraires pour les professionnels du bâtiment. Les avantages sont nombreux : les autorités ont des arguments techniques, surtout lorsqu’elles demandent des changements ; la construction n’est pas entravée par des règlements ; le nombre d’erreurs de conception ou d’adaptation a diminué.
L’architecture est un dialogue entre l’homme et son environnement, elle doit donc être un sujet de discussions permanent au sein de la collectivité. J’en ai retiré ma devise :« Si un maire ne façonne pas lui-même l’image de sa commune, des “pavillonneurs” le feront à sa place. »
dgm : De nombreux bourgs ruraux ont restructuré leur centre avec des équipements alliant fonctions publiques et privées. Comment sont financées ces opérations d’envergure ?
JM : En Autriche, les Länder sont très autonomes et organisés d’une manière décentralisée, sauf pour le prélèvement des impôts. Chaque Land a donc ses propres lois, ce qui implique de grosses dépenses administratives mais donne aussi des possibilités de développement inouïes. Le Vorarlberg est le plus riche des neuf Länderautrichiens, et il n’a pas augmenté sa dette publique depuis vingt ans [trente ans en 2019]. Sa politique économe lui permet de soutenir et de subventionner fortement les collectivités locales et les maîtres d’ouvrage privés.
Les aides aux communes sont basées sur un soutien minimal et un soutien spécial dépendant des ressources disponibles. Dans le nouvel équipement public construit àÜbersaxen, par exemple, la salle polyvalente sert de gymnase scolaire. La commune a donc reçu 40 % du Fonds pour la construction des écoles, auxquels s’ajoutent 10 % d’aide structurelle pour les communes défavorisées. Elle a de plus profité d’une subvention d’environ 10 % au titre de l’aide culturelle pour la bibliothèque et du fait de l’utilisation de la grande salle pour des manifestations musicales et théâtrales. Chaque fonction bénéficie de sa propre forme de soutien, ce qui explique pourquoi les salles polyvalentes sont si populaires. La remise en état de bâtiments anciens bénéficie elle aussi de ses propres subventions.
Dans le Vorarlberg, chaque commune, aussi petite soit-elle, peut construire un centre communal, car les partis présents au parlement ont unanimement décidé de les soutenir financièrement. Les infrastructures ne peuvent pas être identiques dans toutes les zones de la région mais le ministre-président du Land est persuadé qu’elles doivent être au moins comparables, car c’est la meilleure garantie contre l’exode des habitants des villages de la montagne vers la plaine du Rhin.
dgm : Dans le Vorarlberg, existe-t-il une différence entre les communes dirigées par la droite et celles dirigées par la gauche au niveau de l’engagement en faveur du développement durable ?
JM : Non ! Le Vorarlberg est la seule région où l’appartenance à un parti n’a pas d’influence sur les subventions communales. Les règles pour la répartition de ces subventions sont transparentes. Il n’y a ici pratiquement que des communes de droite, c’est à dire gouvernées par le parti populaire autrichien (ÖVP), qui n’a rien à voir avec l’extrême-droite (FPÖ). À l’exception de deux législatures, le parti populaire dispose depuis 1945 de la majorité absolue au parlement régional, mais il a offert à plusieurs reprises au deuxième grand parti d’entrer au gouvernement du Land [Actuellement, le ÖVP gouverne avec les Verts].
Une autre tradition régionale est la participation des citoyens, surtout dans des communes défavorisées comme Zwischenwasser, Übersaxen ou Blons. Grâce à leur implication, les citoyens permettent à la commune d’avoir de bonnes infrastructures. C’est presque devenu une petite compétition. Ici, les gens sont très sédentaires. Ils ne veulent pas quitter leur village à cause d’infrastructures insuffisantes, alors ils participent à leur amélioration. Les Vorarlbergeois sont travailleurs et économes, deux vertus implantées depuis toujours dans la région. Nous avons d’ailleurs un proverbe qui dit : « Bosser, bosser, construire sa maison, vendre le chat, attraper les souris soi-même. » (Schaffa, schaffa Hüsle baua, Katz v’rkofa sealber musa). Maus – la souris – est aussi un mot d’argot pour désigner l’argent…
En images… La maison en terre crue de Martin Raush, le bâtiment « zéro systèmes » 22/26 de Baumschlager & Eberle (façade et RDC), détail façade bois à Zwischenwasser / Voyage d’études DDQE 2022 Scop les 2 Rives
