Le réemploi des matériaux de construction est une pratique en structuration depuis bientôt plus de 10 ans, mais avec quelle finalité ? Faire “comme avec du neuf” ?
A travers l’approvisionnement et la requalification des matériaux, nous verrons que la tentation de standardisation des process, comme des matériaux, recloisonne les dynamiques de conception, là où le réemploi est une opportunité de faire autrement, de travailler collectivement pour “savoir-faire”.
Se fournir en matériaux de réemploi n’est pas simple. Entre matériauthèques généralistes, diagnostics PEMD et fournisseurs spécialistes, les sources sont multiples. En explorant les forces et les faiblesses de ces modèles, nous verrons que la valeur du matériau, par les externalités qu’il implique, varie bien plus que son prix. Comment alors tendre vers une massification sans sacrifier la résilience et les impacts positifs des modèles existants ?
Au sein des équipes de maîtrise d'œuvre, un autre défi se pose : identifier un “qualificateur technique”. De plus en plus exigé par les assureurs, il certifie l’aptitude du matériau de réemploi à son futur usage. Contrairement à l’établissement d’une “chaîne de responsabilité”, cette nomination tend à faire porter la responsabilité à un individu omniscient, simplifiant l’identification de responsable en cas de sinistre. Quel impact cela a-t-il sur la façon de faire projet ?
Les bâtiments et les infrastructures qui constituent nos villes sont le site stratégique de l’accumulation des richesses. Ils témoignent pourtant sourdement de la violence extractiviste faite aux milieux naturels et aux populations souvent lointaines. Nous avons besoin de nouveaux récits pour repenser notre rapport à la matière nécessaire à l’établissement humain et non humain.
Le réemploi ouvre une des voies vers une architecture de la relation. Cette pratique tisse des liens autour de la matière glanée sur les territoires et autour de celles et ceux qui la font passer de main en main et la transforme formant des maillages collaboratifs locaux et situés.
Nous explorerons ensemble durant cette Bulle des pratiques de cueillette des matériaux de réemploi sur les territoires, des chantiers qui deviennent des lieux de transmission et du soin et enfin des processus de reprise des savoirs collectifs autour de l’assemblage ou la greffe de matériaux de récupération sur la ville existante.


Pour cette 18e bulle, nous avons eu le plaisir d’accueillir deux pionnières et ambassadrices du renouveau du réemploi au niveau local et national :
Joanne Boachon, architecte et fondatrice de Minéka, l’une des 1ère plateformes de ressourceries « physiques » en France.
Clara Simay, architecte et fondatrice de la Scop Grand Huit, une aventure humaine qui vient sceller un engagement au long court pour une architecture fortement ancrée dans les enjeux sociaux et écologiques des territoires.
Depuis 10 ans, une injonction apparait appelant à la simplification et à la massification du réemploi dans la construction, portée par le contexte règlementaire qui est de plus en plus favorable au réemploi, et proposant finalement des solutions « clés en main ».
On passe de l’exploration à la normalisation : le réemploi et l’économie circulaire sont des nouveaux mots « à la mode », cela devient un nouvel élément marketing, une nouvelle approche pour remporter des marchés.
La réalité du terrain et du contexte sont différents selon les territoires, les programmes, les marchés, les plannings… comment faire pour transformer ces objectifs en réalité et en projet ?
La pratique n’est pas suffisamment simple à mettre en œuvre, les acteurs du réemploi sont mis sous pression pour inventer de nouvelles manières de faire, et déverrouiller des freins.
Aujourd’hui, une multitude d’actions et d’acteurs complémentaires sont nécessaires pour déployer la chaine de valeur du réemploi.
Face à cette injonction de la massification, il y a de nombreux risques :
Finalement, qui est responsable du réemploi ? A l’échelle d’une équipe de maitrise d’œuvre, les assureurs et les bureaux de contrôle demandent la présence d’un « requalificateur » technique, ce qui n’est pas possible, ni souhaitable, chaque lot relève de sa compétence et de sa spécificité.
Le lot réemploi comporte plusieurs lots à lui seul, il faut donc partager la responsabilité.
Derrière la volonté de massifier, simplifier et désigner un seul responsable, se cache finalement la peur du réemploi, qui est parfois difficilement surmontable, qui pousse à normaliser, étiqueter… au-delà du raisonnable pour se rassurer à l’extrême afin de se désengager de toutes responsabilités.
Il est nécessaire de partager et co-porter cette responsabilité. Cela nécessite une prise de connaissance de la thématique, et d’envisager le projet d’une manière globale, de prendre un recul sur toute l’opération.
Il est nécessaire de prendre connaissance des enjeux de chaque acteur, de travailler ensemble et d’arrêter de travailler en silo.
Pour cela, il faut expérimenter, se laisser le droit à l’erreur, démarrer petit, sortir du marketing, se former, éviter la réplicabilité, et garder de la poésie dans sa pratique.
Cycle de Bulles des 2 Rives « S’affranchir »